Le projet de loi 10 limitant l’utilisation de la main-d’œuvre indépendante dans le système de santé québécois a été sanctionné le 20 avril 2023. La plupart des médias sont avides d’utiliser cette histoire afin d’attirer l’attention et je veux profiter de l’occasion aujourd’hui pour vous donner une certaine perspective sur les avantages et les inconvénients du projet de loi 10 pour le système de santé ainsi que pour notre industrie en général.
Principales caractéristiques du projet de loi 10
Bien que sanctionné le 20 avril 2023, le projet de loi 10 n’est pas encore officiellement en vigueur. Les règlements détaillés doivent encore être publiés à la Gazette officielle du Québec et la date d’entrée en vigueur du projet de loi 10 demeure inconnue.
Le ministre a déclaré que son objectif est de réglementer l’utilisation des agences de placement. Une fois adoptée, cette loi donnera au ministre de la santé le pouvoir d’encadrer l’utilisation des agences par une réglementation qui à ce jour n’est pas définitive. À terme, la mise en œuvre de ce projet de loi permettrait d’interdire le recours aux agences de placement dans certains territoires et régions limitrophes d’ici 2026 et, en attendant, de donner au gouvernement le droit d’encadrer le recours aux agences de placement. Ainsi, le ministre s’octroie un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’établir des exceptions quant au recours aux agences.
Les principaux éléments contenus dans le projet de loi 10 sont :
-L’encadrement du recours aux agences de placement par les établissements de santé.
-L’imposition de taux horaires maximaux aux agences de placement qui fournissent de la main-d’œuvre.
-L’imposition de mesures administratives et d’infractions réglementaires en cas de non-respect de la loi.
Logique financière
Plus tôt cette année, l’Association des Entreprises privées de personnels soignants du Québec (EPPSQ) a mandaté Raymond Chabot Grant Thornton (RCGT) d’analyser les données statistiques concernant l’évolution des heures travaillées et des coûts de la main-d’œuvre indépendante. Le but était aussi d’avoir une mesure des coûts d’utilisation des travailleurs indépendants en comparaison à l’ensemble des coûts du personnel du réseau de la santé et des services sociaux.
Voir le graphique ci-dessous afin d’avoir une vision plus concrète de la différence entre la rémunération par heure travaillée des travailleurs du réseau de la santé et celle des travailleurs indépendants.
Historiquement, selon l’étude de RCGT, les travailleurs autonomes touchaient un salaire horaire de 21 % à 26 % inférieur à celui des travailleurs du réseau de la santé, jusqu’à ce que le gouvernement actuel introduise la réforme de la Loi sur les normes du travail. Aujourd’hui, en raison de la réforme des normes du travail et de la pénurie de main-d’œuvre, le salaire des travailleurs du système de santé est en moyenne presque égal à celui des travailleurs indépendants du système de santé.
À plus petite échelle, les données démontrent un coût plus élevé pour les travailleurs indépendants dans les régions éloignées. Ceci est expliqué par les frais d’hébergement, les déplacements ainsi que les indemnités journalières, ce qui augmente considérablement les dépenses qui leur sont liées. Au contraire, les travailleurs autonomes déployés dans les centres urbains, principale cible de la loi 10, coûtent en moyenne 12 % moins cher que les travailleurs du système de santé. À notre avis, le discours de réduction des coûts utilisé par les autorités ne suit pas une logique financière appropriée.
Opérationnalisation du projet de loi 10
La main-d’œuvre autonome représente annuellement entre 2,5 % et 5,0 % des employés du système de santé québécois. Une proportion qui peut être considérée comme marginale lorsqu’on la compare à d’autres provinces ou à d’autres pays.
Une grande partie de ces indépendants choisissent ce mode de travail pour des raisons personnelles, familiales ou logistiques. Le recours aux agences de placement leur permet d’exercer leur métier en fonction de leurs contraintes. Sans cette possibilité, une grande partie d’entre eux quitteraient le système pour travailler dans d’autres secteurs (+/- 70 % des professionnels de santé indépendants, selon un sondage interne de l’EPPSQ). Dans le contexte nord-américain de pénurie de travailleurs de la santé, la priorité doit être d’inciter les professionnels de la santé à demeurer actifs dans le réseau, peu importe le mode de travail qu’elles choisissent.
Les conditions de travail et la flexibilité sont de loin les considérations les plus importantes qui amènent le personnel médical à trouver des alternatives au réseau public. Dans ce contexte, l’opérationnalisation du projet de loi 10 implique des négociations exhaustives avec les syndicats et les associations professionnelles concernant la modernisation des conventions collectives dans le but d’offrir plus de flexibilité et de meilleures conditions de travail aux professionnels en soins. Nous saluons la poursuite de cet objectif mais prévoyons que le délai de résolution sera long.
Notre point de vue
Nous croyons que le projet de loi 10 et le contexte politique actuel pourraient éventuellement avoir un impact positif sur notre secteur en établissant un cadre clair pour les agences de placement quant à la main-d’œuvre indépendante. Un tel cadre faciliterait une concurrence saine et favoriserait ceux qui, comme nous, sont capables et désireux de travailler dans un environnement bien défini à long terme.
Les agences de placement représentent moins de 5 % de la main-d’œuvre du système de santé, elles jouent donc un rôle modeste mais vital dans le soutien du système. Elles offrent la flexibilité nécessaire pour combler les lacunes en personnel selon les besoins et, ce faisant, aident à prévenir les interruptions de service, à un coût très compétitif. Il est difficile de comprendre le raisonnement du gouvernement pour renoncer volontairement à une telle flexibilité. Premier Health of America est confiant dans sa capacité à s’adapter à l’environnement politique changeant, et nous sommes déterminés à continuer d’aider les gens dans la province de Québec et ailleurs au Canada.
J’espère que ces informations vous ont permis de bien comprendre la situation.
Tous mes vœux,
Martin Legault
Chef de la direction